Le 19 février 2021, le “meme” du Nyan Cat s’est vendu pour $590’000 [1]. Mais ce n’était pas n’importe quelle version du meme, c’était la version NFT. Mais qu’est ce qu’un token? Quel rôle la blockchain joue-t-elle dans cette technologie émergente? Et surtout, il y a-t-il une réelle raison justifiant les prix astronomiques auxquels ces NFTs s’échangent?
Concrètement, les NFTs sont une nouvelle application de la technologie blockchain qui est notamment l’infrastructure sur laquelle repose le Bitcoin. L’idée de la blockchain est d’avoir un immense registre encrypté, partagé par tous les utilisateurs, et qui permet de savoir qui possède quoi, sans l’intervention d’intermédiaires comme les banques ou les états pour établir la possession et gérer les échanges. Un NFT fonctionne sur la même logique, à l’exception que chaque jeton (c’est à dire chaque unité d’échange sur la blockchain) est unique, c’est pour cela qu’il est non-fongible. Un bien fongible peut être substitué par un autre de même nature, comme un billet de 10 CHF peut être remplacé par un autre sans changer la valeur de notre porte-monnaie. Un bitcoin est donc fongible parce qu’il vaut autant que n’importe quel autre bitcoin, et un NFT est non-fongible parce que chaque jeton est unique.
La valeur d’un bien numérique existait déjà avant l’apparition de la blockchain: on pouvait acheter un logiciel ou encore payer pour avoir une apparence particulière dans un jeu vidéo, c’est notamment sur quoi repose le modèle économique de jeux gratuits comme League of Legends ou Fortnite. Quelque chose de virtuel et numérique avait donc déjà de la valeur et pouvait en gagner ou en perdre en fonction de la demande du public pour ce bien ou ce service. Il est alors légitime de se demander en quoi la blockchain et les NFTs permettent une réelle évolution, voire une révolution, de cette valeur numérique: si la valeur d’un bien numérique était déjà incarnée jusqu’alors, sa rareté ne l’était pas. Même si le créateur d’un bien ou d’un service peut y réserver l’accès pour ceux qui ont payé, rien ne l’empêche de le dupliquer autant de fois qu’il le souhaite et d’en vendre les copies tant qu’il y a de la demande. La technologie de la blockchain permet alors d’avoir cette notion de rareté numérique. Quand une gamme de NFTs est émise, ou lorsqu’un artiste réalise une oeuvre et l’associe à un token sur la blockchain, elle sera unique. On pourra, grâce au certificat d’authenticité numérique que propose cette technologie, s’assurer de l’authenticité de l’oeuvre et connaitre son véritable propriétaire.
En théorie, un NFT pourrait représenter de manière digitale n’importe quel bien unique, comme un titre de propriété ou une adresse email. Mais pour l’instant, les NFTs sont surtout utilisés pour représenter des oeuvres d’art numériques. Donc le Nyan Cat vendu $590’000 est unique, et malgré la présence de nombreuses copies identiques sur internet, il n’y a qu’un seul NFT Nyan Cat dans le monde, et son possesseur en est le seul propriétaire officiel. Il serait légitime de se demander pourquoi dépenser autant d’argent dans ce qui est essentiellement un certificat d’authenticité, et nous y répondrons plus tard.
Une effervescence des NFTs
Le marché des NFTs est en pleine ébullition en ce moment, et le Nyan Cat vendu à $590’000 n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le 11 mars 2021, un CryptoPunk a été vendu à 4’200 ETH, qui valaient environs $7,584,485 au moment de la vente. Les CryptoPunks sont un projet d’art où les créateurs ont produit 10’000 avatars uniques que l’on peut acheter, collectionner et échanger sur la blockchain. D’après CoinGecko, la capitalisation totale des NFTs s’élèverait à plus de $22.5 milliards. Face à ces sommes astronomiques, deux points de vue s’opposent. D’une part, certains pensent que les NFTs représentent un réel potentiel pour le futur, et qu’il faut à tout prix comprendre ce marché et y investir, discours notamment partagé par l’entrepreneur Gary Vaynerchuck. D’autre part, la plupart pense que les NFTs sont qu’une bulle destinée à exploser. Peu importe le point de vue partagé, il est intéressant de se pencher sur ce que représente cette technologie et sur ses potentielles implémentations présentes et futures.
À l’origine pour les collectionneurs
En Octobre 2017 émerge un des premiers projets NFT: les CryptoKitties. À l’image des CryptoPunks, apparus en Juin 2007, c’est une gamme de chatons virtuels, chacun associé à un jeton unique sur la blockchain, que les utilisateurs collectionnent et s’échangent. La plateforme a enregistré depuis sa création 726’439 ventes individuelles d’une valeur totale de plus de 64’185 ETH (~$163’400’000 aujourd’hui), dont la plus importante s’élève à 600 ETH, qui valent aujourd’hui plus de $1,5 millions. La première gamme de CryptoKitties était limitée à 50’000 exemplaires, mais la seconde génération ne devrait pas avoir de plafond, ce qui rendrait le jeu potentiellement éternel.
Il est alors très facile de faire le parallèle avec le monde des cartes à collectionner comme les cartes Panini pour le football, les cartes de baseball ou encore les cartes Pokémon. En Janvier 2021, le record du monde de la carte la plus chère a été brisé par une carte de baseball revendue $5.2 millions. La NBA a notamment lancé sa gamme de NFTs avec les TopShots, des extraits de basketball collectionnables sous forme de jeton crypto.
Les NFTs, comme les CryptoKitties ou les CryptoPunks, peuvent être collectionnés, échangés et on peut spéculer sur leur valeur, à l’instar des cartes à collectionner, ou plus généralement tous les objets collectionnables.
La crypto s’attaque au marché de l’art
Que vaut réellement un oeuvre d’art? La réponse intuitive serait que la valeur d’une oeuvre, par exemple d’un tableau, réside dans son esthétique. Mais si l’on suit cette logique, une réplique exacte à 50 francs de Guernica aurait la même valeur que la toile peinte par Picasso. La valeur d’une oeuvre réside alors en grande majorité, si ce n’est entièrement, dans son authenticité. C’est exactement là que les NFTs présentent un avantage face à l’art physique: les jetons ne sont pas falsifiables et leur authenticité est garantie par l’algorithme décentralisé de la blockchain. Un token n’a pas besoin de commissaire priseur ou d’expert en art pour certifier de l’authenticité de l’oeuvre. N’importe qui peut facilement s’assurer du fait que le token qu’il est en train de scanner est bien l’unique NFT correspondant à cette oeuvre. Dans la même optique, il serait envisageable de se passer de notaires en utilisant la blockchain pour certifier de l’authenticité et de l’unicité de titres de propriété ou de signatures.
Christie’s, une société de vente aux enchères internationale fondée en 1766, a organisé en début 2021 une vente d’oeuvres NFTs. Le token “Everydays — The First 5000 Days” de Beeple, représentant une mosaïque de visuels que l’artiste réalise depuis 2007, y a été vendu pour plus de $69 millions [2]. Cette collaboration entre un artiste digital et une institution d’art physique reconnue mondialement souligne le rôle majeur que pourraient avoir les NFTs dans le domaine.
C’est une bulle
Les NFTs sont une bulle, leur véritable valeur ne représente qu’une infime partie des sommes auxquelles ils s’échangent. Néanmoins, l’acheteur d’un token y voit une vraie valeur, qu’elle soit affective, ou spéculative si il a l’intention de le revendre. Pour le premier type d’acheteur, les NFTs permettent à leur propriétaire de satisfaire un besoin de rareté, d’authenticité et de possession. Un token peut, comme on exhibe un tableau dans son salon, être partagé sur les réseaux. Pour le spéculateur, il s’attend à avoir un retour sur investissement en supposant que d’autres personnes, collectionneurs ou autres spéculateurs, accorderont autant, voire plus, de valeur au token dans le futur. Dans les deux cas, la valeur du NFT repose plus sur la valeur que veut lui accorder l’acheteur que sur sa valeur tangible. C’est sur ce principe que repose la monnaie: la valeur d’un billet de 10 CHF n’est que celle que lui accorde le chocolatier, qui n’accepte de vous l’échanger contre un lapin en chocolat parce que ce bout de papier jaune a de la valeur à ses yeux, et aura de la valeur aux yeux des autres dans le futur.
Un NFT est donc bien une bulle, mais une bulle qui n’éclatera que lorsque tous les potentiels acheteurs se désintéressent du token, mais tant qu’elle aura de la valeur aux yeux de son propriétaire, qu’elle soit affective ou spéculative, sa valeur sera justifiée.
Kamil Mellouk
Bibliography
1 – https://www.nytimes.com/2021/02/22/business/nft-nba-top-shot-crypto.html
2 – https://www.nytimes.com/2021/03/11/arts/design/nft-auction-christies-beeple.html
3 – Vidéo de Marketing Mania sur le sujet: https://youtu.be/aFEmMgq4o2w
4 – Vidéo de Hasheur sur le sujet: https://youtu.be/pEreoxCwC6c