Dans cet épisode, nous nous intéresserons à un pays qui en 50 ans est passé de l’un des plus pauvres du monde au top 15 des plus hauts PIB : la Corée du Sud. Nous verrons sur quoi s’est appuyée cette croissance fulgurante et l’environnement économique ainsi que financier que cela a induit dans le pays.

Quelques chiffres

En effet à la fin de la Guerre de Corée en 1953 et jusque dans les années 1960, la Corée du Sud avait un PIB par habitant semblable à celui des plus pauvres pays d’Afrique et d’Asie. Le pays a cependant fait partie des nouveaux pays industrialisés asiatiques (NPIA) plus tard nommés les Dragons asiatiques. Ce groupe englobe quatre démocraties asiatiques qui se sont développées dès les années 1960 : la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan. Cette croissance industrielle s’est notamment faite grâce à de grands conglomérats nommés chaebols. Aujourd’hui l’écart entre la Corée du Sud et sa voisine du Nord est appelé « Miracle de la rivière Han » et montre le changement drastique de direction de l’économie du pays.

Ces grands chaebols sont restés des acteurs très importants dans l’économie coréenne et sont aujourd’hui les entreprises les plus capitalisées. Ainsi les différentes activités de Samsung représentent près de 40% de l’indice national. On retrouve également des noms connus comme LG ou encore Hyundai.

L’indice sud-coréen est donc à forte composante technologique avec 46,83% de la capitalisation alors que les secteurs de l’industrie et de la consommation discrétionnaire qui suivent ne passent pas la barre des 10%.

Le pays continue de miser sur la technologie et l’innovation en étant le premier en termes de proportion du PIB dédiée à l’innovation avec 4,3% de la richesse créée. Il s’agit également du deuxième pays au monde avec le plus de chercheurs par million d’habitants puisqu’ils sont 6 899/1 000 000.

Cependant, la Corée du Sud a aussi fait parler d’elle dans des affaires de corruption par les grands conglomérats et est également connue comme un pays où les employés connaissent de la souffrance au travail. Nous pouvons donc nous demander si ce modèle de croissance est pérenne et va durer dans le temps.

Le revers de la médaille d’une croissance rapide

Ainsi la Corée du Sud fait partie des pays de l’OCDE avec les plus hauts taux de stress au travail. Les causes sont multiples mais hors de la charge de travail on pourra parler de l’endettement des ménages. En effet, dans un pays en pleine croissance les inégalités où les prix augmentent beaucoup ont tendance à s’endetter pour développer des business, permettre à leurs enfants d’étudier ou simplement financer leur logement et leurs dépenses courantes. La dette des ménages a donc explosé pour devenir l’une des plus importantes au monde à bientôt 200%, notamment à cause des prêts facilement fournis par les banques. Cela mène donc parfois au surmenage au travail afin de rembourser des crédits trop importants.

Des inégalités importantes se creusent donc entre ceux qui réussissent à accompagner la croissance du pays et ceux qui en sont plutôt victimes. Aussi le FMI relève que le coefficient de Gini dans le pays a largement augmenté dans le pays depuis les années 1990 ce qui montre que les inégalités vont en augmentant, ce qui peut déboucher sur des mouvements sociaux. Le thème des inégalités et de l’endettement a également pris une place dans les exportations cinématographiques sud-coréennes des dernières années avec notamment la série Squid Game (2021) ou le film Parasite (2019) ce qui montre l’importance que prend le sujet dans la société.

Ces inégalités se font particulièrement sentir chez les populations les plus âgées. La Corée du Sud est ainsi le pays de l’OCDE avec le taux de plus de 66 ans en situation de pauvreté le plus élevé puisque celui-ci s’élève à 43%.

Cette situation sociétale négative pèse depuis longtemps sur la démographie de la péninsule. En effet, si le taux de fécondité est passé sous le seuil de renouvellement au milieu des années 1980 du fait que beaucoup de femmes qui ne travaillaient pas dans la société traditionnelle ont été employées dans les usines, cette tendance a continué à s’accentuer pour atteindre un taux de 0,88 enfant par femme en 2019. Celui-ci est le plus bas au monde, ce qui fait que la Corée du Sud voit sa population diminuer depuis 2020 et que le pays qui était sur le podium de ceux de l’OCDE avec la population la plus jeune en 2013 devrait passer avant-dernier de ce classement en 2050 suivi par le Japon.

De l’autre côté des inégalités nous pourrons parler des chaebols. Ceux-ci ont été le fer de lance de la croissance du pays et ont à ce titre disposé d’aides du gouvernement importantes. On pourra citer des subventions publiques, des terrains mis à disposition, une protection contre la concurrence ainsi qu’une fiscalité et une réglementation particulières. Dans les années 1980 la semaine de travail d’un ouvrier était ainsi la plus longue au monde avec douze heures de travail par jour, les syndicats et les grèves étaient également interdits. Hors du cadre officiel, des affaires de corruption ont également secoué le pays dont on pourra citer les 650 millions de dollars reçus par le général Roh Tae-woo qui a dirigé le pays entre 1988 et 1993 ou encore le scandale Choi Soon-sil en 2016 avec l’influence exercée sur la présidente Park Geun-hye. Même sans parler de corruption, ces conglomérats représentent une part importante de l’économie et des emplois et ont donc un poids non négligeable sur la politique du pays.

Bilan

On a vu que la Corée du Sud avait connu une croissance fulgurante mais aussi basée sur des faveurs faites aux conglomérats et des inégalités croissantes dans le pays à l’origine de différentes problématiques sociales. Jusqu’ici cependant ces problématiques ne nuisent pas à la bourse sud-coréenne puisque celle-ci surperforme l’indice des pays émergents en étant toutefois loin de la performance de l’indice ACWI. On notera cependant un PER inférieur de trois points à celui de l’indice Emerging Markets ce qui traduit une plus faible confiance des investisseurs. Cependant le P/E forward est de 9,36 contre 10,12 pour l’indice de référence ce qui montre un rapprochement et une situation qui pourrait s’inverser.

Concernant la confiance des investisseurs, ceux-ci peuvent s’appuyer sur un régime politique stable et des gouvernements ayant connaissance des fragilités du pays. Le budget est ainsi bien géré avec un taux d’endettement et une politique monétaire contrôlées, incluant réserves de change et faible dette extérieure.

Le pays reste cependant fragile par des aspects structurels comme sa dépendance à l’innovation technologique ainsi qu’aux matières premières nécessaires à l’industrie. En effet, la croissance est basée majoritairement sur le secteur technologique et dépend donc de la capacité à employer des ingénieurs qualifiés qui pourraient rechercher de meilleures conditions de travail à l’étranger. Les entreprises ont également une forte tendance à l’espionnage industriel afin de rester à jour. Enfin, le pays dépend fortement des importations de matières premières venant de Chine ainsi que de pétrole. En cas de tensions géopolitiques la Corée du Sud peut voir ses accès bloqués par la Corée du Nord et sur la mer de Chine. Le pays a essayé de développer d’autres secteurs notamment le tourisme basé sur son influence culturelle grandissante mais cela reste pour l’instant marginal dans l’économie du pays.

La Corée du Sud est donc un pays qui a connu un fort développement et qui reste dynamique, il lui faudra cependant trouver des réponses à ses différentes problématiques pour que cette réussite économique continue sur le long terme.

Jules Mainand