Comme promis, le dernier épisode de cette série portera sur un pays choisi par les lecteurs. Aujourd’hui nous nous intéresserons donc à la situation économique particulière du Liban en pleine crise économique.

Quelques chiffres

Niché au centre du Proche-Orient, le Liban est un pays d’un peu plus de 6 millions d’habitants. Avec un PIB de 18 milliards de dollars en 2021, le pays connaît de graves difficultés économiques depuis 2018 puisque le PIB était alors de 55 milliards de dollars. Concernant les marchés financiers, le Liban a été retiré de la liste des MSCI Frontier Markets en 2019 lors de la mise en place de contrôles des changes pour être placé dans celle des Standalone Markets. Il est donc difficile de trouver des informations financières sur le Liban puisque l’indice échangeable à l’étranger ne compte que peu de valeurs. Aussi la liste suivante n’est pas exhaustive mais elle donne les principales entreprises libanaises dont on voit que la plupart sont dans le secteur de la construction immobilière (The lebanese company for the devlopement and reconstruction of Beirut central district étant composée des différentes sociétés de Solidere ainsi que de Beirut Hospitality) puis dans celui de la banque.

Concernant les obligations souveraines le pays est en défaut de paiement depuis 2020, celles-ci ne s’échangent donc plus que sur le marché secondaire à 9,2 cents pour un dollar ce qui en fait les moins chères au monde. Autrefois un bon placement, les obligations d’Etat étaient principalement détenues par le peuple libanais et les banques privées. Cependant le paiement des intérêts de la dette s’élevait à 10% du PIB en 2019 pour un capital emprunté de 80 milliards soit 150% du PIB, mais avec la chute de ce dernier la dette représente aujourd’hui 400% des richesses produites. La parité avec le dollar n’était plus respectée, la livre a commencé à s’échanger sur le marché noir à 2500 livres pour un dollar fin 2019, aujourd’hui le taux officiel a été fixé à 15000/1 dans le budget du gouvernement. Cependant le taux réel est plutôt de 38500/1 pour les particuliers qui souhaitent changer leurs devises. Toutes ces raisons ont fait perdre confiance aux investisseurs. 

Dans ce contexte, il est difficile d’emprunter pour développer des activités économiques, beaucoup préfèrent alors s’expatrier. La diaspora libanaise jouait déjà un rôle important notamment par les transferts d’argent au pays qui était vue comme une manne et a incité les investisseurs à partir plutôt qu’à rester développer leur pays. Aujourd’hui ce sont également les classes les plus pauvres qui émigrent pour trouver une meilleure situation.

Causes et conséquences de la crise

Déjà en 2018 le FMI était inquiet de la situation économique du Liban, différents pays membres se réunissent à Paris pour décider d’un plan de relance à 11 milliards de dollars en contrepartie de réformes politiques, d’une plus grande transparence dans les finances, et d’une justice plus indépendante. Faute de changements et dans le contexte du début de pandémie, cette somme ne sera jamais délivrée. Dès 2019, des protestations sociales éclatent. L’action du gouvernement et la gestion du budget de l’Etat en déficit budgétaire agitent les foules. En 2020, le pays fait défaut sur sa dette et le système financier est en crise. Le contrôle des capitaux est établi et les dépôts en dollars sont bloqués, or ceux-ci représentaient 75% du total du fait de la parité avec la livre libanaise. En août de la même année, une explosion ravage le port de Beyrouth faisant de nombreuses victimes et privant le pays d’un poumon économique. A la fin 2020 – début 2021 la pandémie de Covid-19 fait également beaucoup de dégâts dans un pays où les services publics sont compromis, la vague de début 2022 est également importante : cela a pour effet de bloquer davantage l’économie du pays. La situation n’évolue plus avec des dépôts toujours bloqués et une impasse politique dans laquelle aucun nouveau président n’est élu faute de quorum suffisant chez les députés. Le FMI promet quant à lui trois milliards de dollars en échange de différentes réformes dont : l’unification du taux de change, la réforme de la loi sur le secret bancaire, la restructuration de ce secteur et une loi sur le contrôle des capitaux.

Cette situation se traduit par un PIB en baisse sur quatre années consécutives. Rien qu’entre 2019 et 2021 celui-ci s’est contracté de près de 60% une fois retraité de l’inflation. En effet celle-ci s’élève à 154% sur 2021, avec comme cause notamment la fausse parité qui pousse les commerçants à augmenter leurs prix pour s’ajuster à la valeur réelle.

Concernant le PIB par habitant, celui-ci s’est également grandement contracté pour retrouver sa valeur des années 1990.

Dans cette situation troublée on peut observer différents phénomènes intéressants sur le marché actions. En effet, lorsque la monnaie est d’habitude jugée comme un actif risk-off et les actions comme un risk-on, ce n’est plus le cas lorsque la confiance en l’Etat disparaît. Ainsi les épargnants préfèrent détenir des titres de propriétés d’entreprises plutôt que du liquide qui est de plus bloqué. Sur les marchés, cela se traduit par une hausse de 57,78% en 2021 après trois années de baisse.

En parallèle, le nombre de transactions a fortement chuté du fait que 70% de la population se trouve sous le seuil de pauvreté et que les dépôts sont contrôlés, mais le volume des transactions est quant à lui remonté. Cela peut traduire un regain d’intérêt des gros porteurs.

Bilan

Pour conclure, la situation financière du Liban est compliquée et il est aujourd’hui difficile d’estimer sur quoi aboutira la crise qui frappe le pays. A l’heure actuelle l’Etat a fait défaut sur sa dette et le taux de change officiel de la monnaie est loin au-dessus du taux réel ce qui rend quasi impossible un redémarrage de l’économie et l’émergence de nouvelles activités. Cette situation dramatique est cependant l’occasion de constater les phénomènes intéressants se produisant dans la bourse libanaise qui remonte dans un contexte où il est plus sûr de posséder des actions que de la monnaie. La bourse étant désynchronisée par rapport aux cycles économiques puisqu’anticipant ceux-ci il faut espérer que cette remontée présage une sortie de crise pour le Liban.

Jules Mainand