Il était quand même difficile de faire un tour du monde de l’investissement sans parler des Etats-Unis. La superpuissance abrite en effet la principale pour mondiale, regroupe les compagnies les plus capitalisées et sa monnaie est la plus utilisée dans le monde. Dans cet épisode nous étudierons les raisons qui font des Etats-Unis la destination préférée des investisseurs et verrons si cela peut changer.

Quelques chiffres

Difficile de passer à côté des entreprises américaines cotées en bourse lorsqu’à l’heure où j’écris ces mots les 14 premières lignes du MSCI World en sont constituées et qu’elles représentent les trois quarts des 100 plus grandes valorisations de l’indice. En termes de répartition sectorielle les USA représentent 70% de l’indice et pour donner un ordre de grandeur Apple, la société américaine la plus capitalisée à 2367 milliards de dollars, représente 7,6 fois LVMH qui est la société non-américaine la plus capitalisée avec 311 milliards de dollars. Beaucoup de ces grandes sociétés officient dans le secteur de la technologie qui constitue 26,9% de l’indice MSCI USA. Elles sont leaders dans leur domaine et disposent d’avantages concurrentiels forts, leurs performances boursières lors de la dernière décennie ont été exceptionnelles et elles ont été en grande partie à l’origine de la croissance des indices. Toutes ces raisons font que ces entreprises sont prisées des investisseurs car elles combinent forte croissance et stabilité.

Si l’on se concentre sur les investisseurs, on se rend aussi compte que la bourse américaine est aussi fortement valorisée grâce au biais domestique. En effet, les investisseurs sont nombreux notamment par le biais de fonds de pension qui placent l’argent des actifs en vue de leur retraite. Le pays disposant d’une grande population avec des revenus importants, cela représente une somme importante lorsqu’on sait que 79% du portefeuille action d’un Américain sont investis aux Etats-Unis.

Sur le secteur obligataire, les Etats-Unis sont également incontournables. Leur dette est en valeur absolue la plus large au monde en représentant deux fois celle de tous les pays de l’Union Européenne. La croissance économique du pays, son faible taux de chômage et sa stabilité donnent confiance aux investisseurs qui achètent les bons du Trésor américain. La FED est suivie par tous les marchés mondiaux et ses décisions, notamment concernant les taux, influences les politiques monétaires des autres banques centrales ainsi que les valorisations en bourse dans le monde entier.

Pour rester sur le terrain monétaire, le dollar est une monnaie dominante dans les échanges et qui inspire confiance comme réserve de valeur. Le billet vert représente en effet 60% des réserves de changes mondiales et est impliqué dans 71% des échanges de devises.

Bien que la sortie des accords de Bretton Woods ait mis fin à l’équivalence entre le dollar et les autres monnaies, il reste une devise de référence à laquelle on compare les autres pour mesurer leurs performances. Lorsque l’on souhaite au contraire connaître la performance du dollar, la référence utilisée est le dollar index qui est un panier des autres devises. Celui-ci montre que le dollar fait office de réserve de valeur en augmentant lors des crises extérieures aux Etats-Unis.

Cependant cette position hégémonique du dollar et plus généralement des Etats-Unis est de plus en plus contestée. Nous allons donc nous demander si une dédollarisation de la finance est à prévoir et si nous tendons vers un monde plus multipolaire.

Vers la dédollarisation du monde ?

Pour comprendre le phénomène de dédollarisation qui s’est accéléré au cours de la dernière décennie, il faut d’abord remonter à la « dollarisation » du monde et comprendre pourquoi le dollar a pris une place si importante. Jusqu’aux années 1920 la monnaie de référence du commerce international était la livre sterling, l’avantage d’avoir une monnaie unique pour commercer est d’éviter le change permanent entre des devises nationales. Pour cela il faut choisir une monnaie au cours plutôt stable et acceptée par les différents partis. Au sortir des deux guerres mondiales, les Etats-Unis sont la seule économie développée à avoir été épargnée, de plus la sécurité fournie par l’éloignement géographique a fait que beaucoup des réserves d’or ont été déplacées vers les USA. Surviennent alors les accords de Bretton Woods dont les principaux points sont : la parité fixée à 35 dollars pour une once d’or, l’indexation des autres devises sur le dollar et la mise en place d’organes financiers internationaux que sont la BIRD (ancêtre de la banque mondiale) et le FMI. Cependant la convertibilité en or conditionne l’émission de monnaie à la quantité d’or découverte. Ce phénomène peut être problématique pour un pays en pleine croissance car celle-ci est supérieure à l’augmentation des réserves d’or. Cela empêche de pays de se financer comme il veut sur les marchés et fait courir un risque de déflation. C’est ainsi qu’en 1971 le président Nixon met fin à la parité, s’ensuit une stagflation du fait que la FED a augmenté son émission monétaire. Depuis lors, la valeur du dollar a continué de baisser comme on peut s’en rendre compte en étudiant le pouvoir d’achat. Ainsi on estime que 100 dollars d’aujourd’hui permettent d’acheter la même chose que 3,5 dollars en 1913. Ce phénomène s’est particulièrement accéléré avec l’augmentation de la masse monétaire à la suite de la crise des subprimes.

Or nous avons vu qu’une monnaie de référence se devait d’être une réserve de valeur, cela explique en partie pourquoi la dédollarisation s’est accélérée depuis le début des années 2010. Une autre raison est l’extra territorialisation du droit américain via le dollar. En effet le Département du Trésor américain considère que les transactions utilisant le dollar relèvent du droit américain et donc que le droit national s’y applique, de ce fait il peut surveiller toutes les transactions passant le réseau SWIFT. Cela explique pourquoi plusieurs pays rivaux ou subissant les sanctions américaines cherchent à développer leur propre système de paiement. On pourra citer la Chine qui signe depuis 2011 des accords avec l’Australie, la Russie, le Japon, le Brésil et l’Iran et qui serait en négociations avec l’Arabie Saoudite pour acheter son pétrole en yuan. La Chine a également mis en place depuis 2015 le système CIPS qui se pose en alternative de SWIFT dans sa région. En 2020 son commerce international en dollar est passé sous la barre des 50% du total. L’Inde qui commerçait en rouble avec l’URSS jusqu’à la chute de celle-ci en 1991 a renoué cet accord avec la Russie en 2022. Enfin la Russie cherche à s’émanciper du dollar depuis le rattachement de la Crimée en 2014 et a également mis en place son propre système de paiement nommé SPFS. A la suite de la guerre en Ukraine la Russie dont les réserves de changes en dollar et en euro ont été gelées souhaite également commercer en rouble avec les pays jugés inamicaux.

Bilan

On constate donc que la suprématie du dollar dans le commerce international est remise en question par la plupart des pays émergents. Cependant le dollar reste dans les faits une monnaie de référence, et ce particulièrement en Occident et dans les pays aux économies les plus développées. Dans les autres domaines, les Etats-Unis restent également au sommet des classements, notamment de celui du PIB.

En termes de résultats boursiers, les Etats-Unis sont également au sommet et surperforment largement les indices World et ACWI alors qu’ils en constituent la majeure partie. Cela montre bien leur efficience face aux autres pays formant l’indice. 

On a vu que l’économie américaine était basée sur des entreprises dominantes dans leur secteur, notamment celui de la technologie, et qui continuent à innover pour le rester. Ces entreprises continuent d’attirer des talents venus du monde entier, ainsi si l’immigration peu qualifiée vient principalement d’Amérique du Sud les chercheurs et ingénieurs viennent plutôt d’Asie et d’Europe, ce qui garantit également la prospérité du pays.

Jules Mainand