Lorsqu’un Européen pense à un pays émergent, il se peut qu’il s’imagine des destinations lointaines et exotiques. Pourtant ce n’est pas forcément le cas, ainsi aujourd’hui nous nous intéresserons au cas de la Pologne comme pays européen en développement. Ce sera l’occasion de mieux comprendre la situation de pays d’Europe de l’Est et leurs spécificités.

Quelques chiffres

Avec un PIB en forte croissance sur le long terme, il est normal que le pays de 38 millions d’habitants intéresse les économistes et potentiellement les investisseurs étrangers. En effet, même si elle a bénéficié d’un effet de rattrapage à la chute de l’URSS puis lors de son entrée dans l’UE, force est de constater que la croissance polonaise dépasse celles de la République tchèque et de la Bulgarie qui étaient dans la même situation. Le pays a ainsi pu rapidement se hisser parmi les 25 premières puissances économiques mondiales.

Si l’on zoom sur les secteurs principaux de l’indice MSCI Poland, ceux-ci s’avèrent être assez caractéristiques des pays en croissance à savoir les services financiers (36,69%) et l’énergie (20,45%). Il est à noter que cet indice est très restreint avec seulement 15 compagnies dont les 10 premières représentent 85% de l’indice. Concernant l’emploi en 2018 l’agriculture employait 10,1% des actifs pour une part dans le PIB de 2,1%, quant à l’industrie qui représentait 28,6% des actifs elle représentait 31,5% du PIB. Cela traduit une importante mutation vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée qui n’est pas encore achevée.

 

Cette main-d’œuvre ouvrière qualifiée aux portes de l’Europe occidentale attire également les grandes entreprises qui viennent installer leurs chaînes de production. Ainsi la Pologne s’est classée cinquième en 2020 concernant les flux d’investissements étrangers notamment grâce à Google qui a dépensé 1,8 milliard de dollars pour développer ses activités de cloud dans le pays. Ainsi en 2021 les stocks d’IDE s’élevaient à 270 milliards de dollars, en provenance principalement des Pays-Bas, d’Allemagne, du Luxembourg et de France. Les grandes multinationales d’Europe de l’Ouest voient ainsi en la Pologne un pays où installer leurs usines et produire avec une main d’œuvre et de l’énergie à moindre coûts tout en restant dans l’Union Européenne.

Ces flux de capitaux étrangers ont également profité à la population polonaise, le PIB par habitant ayant nettement augmenté. On peut néanmoins se demander si la Pologne n’a pas atteint la maturité économique suffisante pour développer ses propres compagnies ou si elle va garder un rôle de passerelle et d’atelier de production dont la croissance de pays qui y implantent leurs usines.

La croissance c’est les autres?

On l’a vu la croissance polonaise doit beaucoup aux investissements étrangers depuis les pays européens principalement. Concernant les crédits publics, la Pologne a reçu 150 milliards d’euros entre 2007 et 2020 de la part de l’UE soit l’équivalent de deux ans de son PIB, ce qui explique également la croissance moyenne de 4% du pays sur la décennie 2010. Ces aides avaient pour but d’aider au rattrapage, notamment dans le domaine des infrastructures, ce qui a été réussi.

De plus c’était aussi une condition pour que les industries des pays donateurs puissent exporter en Pologne en évitant la mise en place de mesures protectionnistes. En effet, les économies moins avancées ont intérêt à mettre en place ce type de mesures afin d’éviter que leurs capitaux partent vers les pays plus compétitifs ce qui ferait pencher dans le négatif leur balance commerciale. Cependant on voit que la balance commerciale polonaise est restée excédentaire et que le pays a une grande aptitude à l’exportation. Ainsi en 2020 la balance commerciale du pays était excédentaire de 12 milliards de dollars, notamment grâce à la dépréciation du zloty de 7% sur la période. L’Allemagne reste le partenaire commercial privilégié de la Pologne. Concernant les exportations, celles-ci se font principalement à l’Ouest vers l’Europe alors que les importations viennent des géants de l’Ouest que sont la Chine et la Russie.

La Pologne bénéficie ainsi d’un emplacement intéressant qui fait d’elle une porte sur l’Ouest. Cela se traduit notamment par une dominance dans le secteur du transport routier à travers l’Europe avec plus de 17% du tonnage.

Dans le futur la Pologne pourra encore jouer de cette position centrale, notamment dans les projets de Routes de la Soie, entre la Chine et l’Europe de l’Ouest. Cependant cette situation ne met pas le pays en situation de développer ses propres compagnies.

Bilan

On l’a vu la Pologne a connu une forte croissance par effet de rattrapage et en partie grâce à des aides extérieures. Elle jouit d’un emplacement privilégié et prometteur mais cela ne l’a pas incitée à développer ses propres entreprises. Ainsi si l’on prend le secteur de l’innovation, la Pologne déposait 18 brevets par million d’habitants contre 228 pour l’Allemagne ce qui montre que jusqu’ici le pays produit les avancées faites ailleurs et n’en retire pas une grande valeur ajoutée. On a aussi brièvement évoqué la chute du zloty face à l’euro qui est la principale monnaie d’exportation ce qui peut être une opportunité pour la Pologne. Du côté des obligations d’Etat le rendement actuel de celles-ci est de 8,1% ce qui compense la chute du zloty face à l’euro de 25% au cours de la dernière décennie pour l’investisseur étranger.

Cependant pour l’investisseur polonais ce taux est bien loin de couvrir l’inflation qui s’élève à 17,2% à l’heure actuelle, le pays étant notamment très dépendant de l’énergie qu’il importe.

De plus, le pays connaît une stagnation démographique ce qui risque de peser sur sa croissance et sa capacité à innover, et donc sa productivité. Les futures retraites des Polonais pourraient donc être compromise dans un pays en perte de vitesse démographique et avec des taux réels négatifs. La Pologne a cependant l’avantage d’être peu endettée avec 49,1% du PIB ce qui peut permettre à l’Etat de se financer sur les marchés pour entreprendre des projets ambitieux.

Pour finir du côté des marchés, les actions polonaises sous-performent largement l’indice ACWI, ainsi au cours des quinze dernières années le portefeuille MSCI Poland a vu sa valeur divisée par trois. Cela peut s’expliquer par les mauvaises performances du secteur bancaire, très pondéré sur la période. Cependant il faut aussi noter le manque de confiance des investisseurs qui évaluent les actifs polonais avec un PER de 4,51 contre 15,7 pour l’ACWI et 11,48 pour les pays émergeants.

Jules Mainand