Dans ce nouvel épisode nous nous intéresserons à un autre pays émergent : la Turquie. Ce pays a fait parler de lui récemment aussi bien pour sa politique monétaire que pour les performances de ses entreprises. Nous allons étudier la situation financière en Turquie et nous intéresser aux spécificités de ce pays.

Quelques chiffres

Lorsque l’on s’intéresse aux secteurs les plus pondérés dans l’indice MSCI Turquie, on constate que ceux-ci sont caractéristiques des pays émergents. Ainsi le premier secteur est l’industrie avec 34,23% de l’indice puis vient la finance qui en représente 23,18%. Les entreprises turques les plus capitalisées ne sont pas très connues à l’international, à noter également que l’indice MSCI ne prend en compte que 12 titres, il sera donc plus complet d’étudier le BIST 100 qui est l’indice national.

La situation géographique de la Turquie en fait un carrefour important entre l’Asie et l’Europe sur l’axe Est-Ouest mais également avec la Russie et la péninsule arabique sur l’axe Nord-Sud ce qui est un atout de taille. Ainsi les trois principaux partenaires commerciaux du pays en termes d’exportations sont l’Allemagne, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Pour ce qui est des importations, il s’agit de la Chine, de la Russie et de l’Allemagne. La Turquie est notamment le deuxième producteur de plastique sur le sol européen grâce au pétrole acheté à la Russie et aux pays arabes. Suivant le même principe, le pays est le numéro trois en Europe dans le secteur de l’habillement grâce au coton venu de Chine et d’Inde.

Pour ces différentes raisons de nombreuses multinationales comme Coca-Cola, Hyundai, Fiat ou Nestlé ont décidé d’investir en Turquie et d’y placer des sites de production. Le pays a de plus l’avantage d’avoir adapté ses normes au marché européen lorsqu’il a souhaité rejoindre l’UE. Enfin, une main d’œuvre qualifiée se trouve sur place avec des salaires plus bas qu’à l’Ouest et le gouvernement a mis différentes politiques en place pour attirer les flux d’IDE.

Cependant, malgré une situation géographique propice aux échanges avec une politique allant dans ce sens depuis 1980 et un tissu économique dynamique, les valorisations de la bourse turque en dollar déçoivent en particulier ces dernières années. Cela provient de l’action de la banque centrale du pays que nous allons étudier plus en détail.

Politique monétaire

Cette performance décevante vient en effet de la chute de la livre turque qui a perdu 90% de sa valeur face au dollar en moins de 10 ans.

Cette chute de la valeur de la monnaie provient de la forte inflation couplée à des taux bas. En effet, la théorie économique classique stipule que les taux directeurs doivent être identiques ou supérieurs à l’inflation. Cela permet à l’épargnant de ne pas perdre son argent, de ce fait il n’est pas incité à le dépenser rapidement ce qui continuerait à alimenter l’inflation. Cette politique avait été menée en Turquie où l’inflation était particulièrement élevée afin de la faire redescendre à des taux plus acceptables. On constate également que l’inflation avait redémarrée à la suite de la baisse des taux.

Cette position a cependant été fatale à plusieurs gouverneurs de la banque centrale turque qui ont été renvoyés par le pouvoir exécutif. En effet, pour le président Erdogan, les taux élevés découragent les entrepreneurs qui ont besoin d’emprunter pour développer leurs affaires. Dans l’optique de privilégier la croissance et les exportations à la stabilité des prix, sa décision a été de baisser les taux directeurs pour le troisième mois consécutif en octobre 2022 pour que ceux-ci atteignent 10,5%. Cependant dans un contexte de hausse des prix du pétrole et de l’alimentation qui sont des postes importants dans les importations turques, cela a créé une augmentation des prix du transport de 117%, de l’alimentation de 99% et des logements de 85% pour une inflation de l’indice des prix à la consommation de 85,67% en un an, soit un record depuis 1997.

Bilan

On a vu que la Turquie disposait d’une situation particulièrement avantageuse à la jonction de différents pôles géographiques. Cependant la politique monétaire du pays est inquiétante pour les investisseurs étrangers. Il est à noter que les performances de la bourse d’Istanbul en livre turque ont été exceptionnelles avec 82,6% en un an, en partie parce que les épargnants souhaitent se protéger de l’inflation en investissant. De ce fait la bourse est proche de ses plus bas en dollars mais de ses plus hauts en monnaie locale.

En s’éloignant des considérations économiques et financières, le pays peut également compter sur une population de 85 millions d’habitants en pleine croissance. Ainsi la population du pays est jeune ce qui promet un développement sur le long terme par l’éducation et l’émergence de la classe moyenne. Dans ces conditions, la Turquie devrait atteindre son pic démographique en 2060 avec une population avoisinant les 100 millions d’individus.

Jules Mainand